Différence
Le fait que l’on parle beaucoup de l’autisme en ce moment a fait remonter à ma mémoire un souvenir d’enfance.
Il y avait dans mon village, ce que les gens appelaient entre eux le débile. Un monsieur sans âge pour la petite fille que j’étais. Je ne savais pas trop ce que signifiait débile. Pour moi, c’était juste différent, bizarre et… très intéressant.
Cet homme mangeait parfois à notre table lorsque mon père lui confiait quelques travaux. Le rapport simple et "normal" qu'entretenaient mes parents avec lui me rendait totalement confiante à son égard.
Il partageait aussi certains soirs nos parties de cartes familiales et avec le recul, je me dis qu’il vivait peut-être là ses seuls échanges sociaux.
Cet homme connaissait par cœur tout le dictionnaire dans l’ordre, mots et définitions. Il suffisait de lui dire le premier mot d’une page pour qu’il enchaîne sans la moindre erreur.
Il pouvait réciter dans son entier l’indicateur chaix de la SNCF, objet inconnu à l’ère du web. Ceux qui en ont eu un en main réalisent la complexité de la chose.
Il connaissait les plaques minéralogiques de toutes les voitures de tous les habitants du village, depuis leur premier véhicule.
Et peut-être d’autres choses encore…
Cet homme était-il débile ? Incapable de quoi que ce soit ? Juste bon à être rejeté ?
Ses compétences extraordinaires effrayaient sans doute. Sa crainte des autres renforcée à chaque quolibet et à chaque rejet creusait l’écart de plus en plus. Sa différence, si riche pourtant, le condamnait à rester à l’écart.
Combien de "débiles" croisons-nous chaque semaine ? De combien d’échanges surprenants et enrichissants nous privons-nous ?
Combien de fois laissons-nous la peur ou au mieux l’indifférence guider nos approches ?
Je n’ai jamais cru que la curiosité était un vilain défaut et j’ai souvent rencontré de belles surprises…