La dinde et l'écureuil

Un jeune écureuil nouvellement installé dans le coin rencontre une dinde :

-Eh bien dis donc la dinde, tu n’as pas l’air dans ton assiette aujourd’hui ?

-C’est le moins qu’on puisse dire, ne me parle pas d’assiette !

-Mais qu’est ce qui ne va pas aujourd’hui ?

-Sais-tu quel jour nous sommes ?

-Evidemment, nous sommes le 19 !

-Le 19 quoi ?

-Le 19 décembre évidemment.

-Et bien, tu vois, nous sommes le 19 décembre. Et à partir d’aujourd’hui mes jours sont comptés. Comment veux-tu que ça aille ?

-Tes jours sont comptés ? Je ne comprends pas.

-Tu ne comprends pas, tu ne comprends pas ? C’est presque Noël. Et qu’est–ce qu’on leur fait à Noël aux pauvres dindes comme moi, hein ? Qu’est–ce qu’on leur fait ?

-Mais comment veux-tu que je le sache ? Il y a à peine trois mois que j’ai emménagé dans l’arbre de ton poulailler !

-ON LES MANGE. Tu entends ? On les mange, les dindes. C’est affreux, je suis condamnée à mort.

-Mais dis-moi, pourquoi font-ils ça ?

-Parce que c’est la tradition, parait-il.

-Mais les traditions ne sont pas immuables, bon sang ! Ca se change les traditions ! En tout cas on doit pouvoir les changer !

-Et bien essaie de faire bouger celle là mon ami, et je te paie des noisettes.

-Mais tu ne te rebelles pas ? Tu ne vas tout de même pas te soumettre à cet horrible rituel ?

-J’ai vu quand on a égorgé ma mère. Je les ai vus plonger son corps dans un chaudron d’eau bouillante pour la plumer plus facilement. Je les ai vus ouvrir son pauvre ventre, le vider pour le farcir.

 -Assez, assez la dinde, tu me donnes froid dans l’échine !

- Voilà ce qui m’attend et voilà pourquoi le mot ASSIETTE me donne de l’urticaire.

- C’est une chose horrible que tu me racontes là. Comment après cela pourrais-je encore jouer au guignol sur le fil téléphonique ? Comment pourrais-je encore faire le beau avec ma queue en panache, s’il y a de pareilles horreurs autour de moi. Dis-moi, comment pourrais-je t’aider?

- Puisque mon sort est tracé, je voudrais avant de mourir… manger un dernier ver. Pourrais-tu te charger de m’en trouver un ?

- QUOI ??? Tu veux manger un ver ?

- Oui, ce sera ma dernière volonté.

- Le ver du condamné, quoi ! ... Mais te rends-tu compte de ce que tu me demandes ?

- Mais je….

- Voilà une heure que tu pleures sur toi parce que tu es destinée à finir dans une assiette le jour de Noël et tu voudrais toi-même infliger à quelqu’un d’autre, le même sort!!!

- Mais …

- Tu me déçois. Tu n’es qu’une sotte. Va vers ta destinée, mais ne compte pas sur moi pour satisfaire ton funeste dessein. Adieu … et réfléchis un peu !